samedi 25 juillet 2015

Les grottes de Bekkouche de Skikda - CHAOUKI-LI-QACENTINA

Du potentiel en hibernation

Découvertes, fortuitement, le 31 janvier 2006, les deux grottes de Galaat Essettah, dans la commune de Bekkouche Lakhdar, à 53 Km au sud-est de Skikda attendent depuis qu’on veuille bien les explorer et les étudier  pour faire de ces lieux une attraction touristique.
Ces grottes s’incrustent dans le fond du mont dit Galaat Essettahà plus de 600 m d’altitude. 
Elles se situent à moins de  600 m seulement à l’est du barrage de Zit Mba. Leur histoire remonte au mois de janvier 2006, quand des ouvriers chinois, travaillant alors sur le projet du périmètre irrigué de Bekkouche Lakhdar, furent surpris par la présence d’une excavation dans la roche. On y piochant encore, ils découvrent alors la présence d’une grotte.
A moins de 100 m de cette première, une seconde grotte, beaucoup plus importante est également découverte. Voici ce que mentionnaient les cadres chinois dans le rapport établi pour la circonstance «il y a une telle profusion de beautés que les yeux ont peine à les embrasser toutes».
Pour voir cette beauté, il suffit juste d’arpenter le versant nord du mont Galaat Essettah à partir d’une piste laissée par les chinois. Une piste en forme de pente qui aboutit aux lieux féériques. Là, on découvre l’entrée confinée de la première grotte. C’est une sorte de cavité de moins d’un mètre de diamètre. On s’y engouffrant, on glisse encore de plus de 02 mètres pour parvenir à la première galerie.
Cette dernière est une excavation naturelle aux intonations rougeâtres et safranées. On remarquera malheureusement le gâchis causé par la main de l’homme puisque l’ensemble des stalactites et stalagmites qui ornaient ces lieux en 2006, ne sont plus qu’un souvenir. Il ne persiste que de belles formations de calcaires assez imposantes pour qu’on puisse les emporter. 
UNE GALERIE DE MERVEILLES 
De cette galerie, le visiteur peut poursuivre sa balade en s’enfonçant sur plus de 02 m dans un couloir assez rétréci et qui donne sur une seconde galerie. Des habitants de la région laissent comprendre que de cette galerie on pourrait parvenir à d’autres couloirs qui seraient long de plusieurs kilomètres.
Le constat visuel, à lui seul ne peut suffit à saisir la portée de cette grotte, d’où la nécessité de penser à organiser des explorations scientifiques. Selon le rapport établi en janvier 2006 par la direction de la culture, on a estimé que la formation de cette grotte naturelle reviendrait à l’ère quaternaire (une division du temps géologique qui a débuté il y a 25 millions d’années) .
La seconde grotte située à moins de 100 m seulement de la première est plus imposante encore. Depuis sa découverte et vu son importance, les pouvoirs publics avaient  décidé de bloquer son entrée pour la protéger de tout dégradation éventuelle en attendant des jours meilleurs. L’entrée est carrément barricadée de blocs de pierres et il faudrait de gros engins pour la débloquer.
Selon des témoignages colportés auprès de plusieurs habitants de cette région, ces deux grottes ne se seraient pas les seules à exister dans le relief rocheux qui distingue ces lieux assez proches de la Grotte de Taya, près d’ Essebt et des Hammams de Guelma.
Les habitants qu’on a eu à rencontrer expriment tous le souhait de voir ces grottes mises en valeur et ouvertes au public pour drainer un peu de vie dans le village de Bekkouche qui n’en finit plus de mourir depuis la venue du barrage de Zit Mba et la déviation de la route qui reliait Skikda à Guelma. «Les automobilistes ne passent plus par notre village. Regardez, la majorité des commerces ont baissé leurs rideaux. Ces grottes sont peut-être notre seul espoir», affirment les habitants de Bekkouche. 
Khider Ouahab

Le long déclin des chauves-souris d’Algérie - CHAOUKI-LI-QACENTINA

Leurs habitats et leurs effectifs ne cessent de régresser




Seul mammifère au monde à pouvoir voler, ce singulier petit animal vole avec ses mains pourvues de membranes, voit avec ses oreilles grâce à un sonar et dort la tête en bas. 
L’homme moderne doit deux choses essentielles à cette petite merveille volante d’à peine une demi-douzaine de grammes: l’aviation a copié sur elle ses premiers modèles d’avion, et la marine n’a fait que reprendre son principe révolutionnaire du sonar et de l’écholocalisation. Ce n’est pas tout, notre petit mammifère volant est capable de gober le tiers de son poids en moustiques en une heure de chasse. Hélas, malgré ce curriculum vitae digne d’un grand champion, la chauve-souris ne serait, dans l’imaginaire populaire, au pire, qu’un vampire, au mieux, un rat volant qui n’inspire guère de sympathie.
Arrière Satan ! Faites-en l’expérience : évoquez la chauve-souris et vous verrez sur le champ une moue de dégoût se dessiner sur la face de votre vis-à-vis. Ainsi donc, malgré le succès phénoménal de Batman, ce super héros aux super pouvoirs et aux ailes de chauve-souris — présentement l’un des plus beaux succès du box-office —, personne ne rêve vraiment de câliner ou d’adopter un chiroptère. Victime de préjugés qui ont la peau dure et d’une mythologie qui lui fait jouer de bien mauvais rôles, la timide petite chauve-souris s’est taillé une sulfureuse réputation pour un capital sympathie proche du zéro absolu. Rideau ?
Pas encore. Patience. Au hasard d’une rencontre fortuite, nous avons mis la main sur un homme qui s’est épris de passion pour ce mammifère aux mœurs nocturnes. Cet homme, c’est Mourad Ahmim, ingénieur agronome aux allures juvéniles et premier Algérien à avoir soutenu un doctorat sur ces charmantes bestioles auxquelles il consacre une partie de sa vie et la totalité de ses études et recherches.
Enseignant-chercheur à l’université de Béjaïa, il a, en quelque sorte, revêtu son costume de Batman et entend bien sauver la chauve-souris du sort funeste auquel une Algérie pressée de bétonner tout son territoire a promis à ce petit animal et à tous ses semblables, qui volent, nagent, rampent ou courent à perdre haleine sur leurs quatre membres.
La chauve-souris, Mourad en parle si bien qu’il vous inocule sa passion en un battement d’ailes et vous vous retrouvez suspendu à ses lèvres comme une chauve-souris au plafond de sa grotte. Notre professeur vient, d’ailleurs, de créer The Algerian Bat Group, un groupe de sauvegarde de la chauve-souris, reconnu depuis quelques jours par le Plan des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et Eurobats.
L’ABG regroupe des bénévoles et des passionnés qui se donnent pour but de sauvegarder les espèces algériennes. Sur sa lancée, Mourad compte bien organiser la Première Nuit de la chauve-souris en Kabylie, le 29 août prochain, histoire de sensibiliser autour de la nécessité qu’il y a de protéger ce petit animal qui joue un rôle d’importance dans l’équilibre écologique et environnemental. 
Elle peut manger 6000 moustiques en une nuit 
«Savez-vous qu’une chauve-souris peut manger jusqu’à 6000 moustiques en une nuit de chasse ?» dit-il. Rien que cette affirmation dûment constatée par des scientifiques suffit à nous la rendre sympathique. L’ennemi de mon ennemi est mon ami. Sus aux moustiques ! «Ce sont des régulateurs des populations d’insectes nuisibles à l’être humain et à ses activités agricoles.
De ce fait, elle évite à l’homme d’utiliser des produits chimiques telles que les pastilles, qui ne sont d’ailleurs plus efficaces étant donné que les moustiques ont développé une résistance génétique aux produits phytosanitaires dans l’agriculture», dit-il. La chauve-souris est donc de ce fait un insecticide aussi biologique que redoutablement efficace. Ce n’est pas tout, ses déjections, appelées guano, sont un engrais biologique de première qualité. A l’indépendance, on en exportait encore du côté de Khenchela, précise notre homme. 
L’Algérie compte 25 espèces présentes toute l’année 
Mourad Ahmim sillonne l’Algérie d’est en ouest, mais il travaille plus souvent sur deux sites au niveau de Béjaïa. La rive gauche de la Soummam, du côté de Tala Hamza, et une grande grotte à Aokas qui abrite une importante colonie de chauves-souris évaluée à près de 2500 individus. «Cette grotte est un gîte d’importance internationale, car on y compte 10 des 25 espèces algériennes, de surcroît présentes toute l’année.
J’ai supplié le maire d’Aokas de classer le site afin de le protéger, mais en vain», dit-il. Au passage, on apprend que l’Algérie compte 25 espèces de chauve-souris, nous qui pensions, benoitement, comme le commun des mortels égocentriques que le sort des autres espèces intéresse peu, qu’il n’y avait qu’une seule et même chauve-souris. Afin de secouer quelque peu nos vieux préjugés et nos idées aussi arrêtées qu’une vieille montre à cadran solaire, Mourad propose de nous emmener en vadrouille voir les chauves-souris exécuter leurs chorégraphies aériennes au crépuscule. Pratiquement chaque soir, de 18 à 22 heures, l’homme parcourt les forêts ou inspecte les grottes où vit son animal fétiche.
Ce soir, direction la rive gauche de la Soummam, dans la commune de Tala Hamza. Les berges de la rivière sont densément touffues d’une végétation luxuriante qui abrite une biodiversité riche et diversifiée. Beaucoup de vergers, de potagers, des oliviers aux troncs noueux et des peupliers géants. Une fois le site choisi, le coffre de voiture de Mourad se révèle être un véritable laboratoire ambulant. Il abrite les instruments permettant de localiser, d’entendre et d’enregistrer les fameux chiroptères chers à son cœur.
Quand les chauves-souris commencent à sortir, nous avons tout le loisir de les observer voler au-dessus de nos têtes à la poursuite d’invisibles proies. Mais grâce aux appareils détecteurs d’ultrasons, on peut enfin les entendre. On les entend tout à coup chanter, communiquer, gazouiller, alors qu’on les croyait définitivement muettes. «Elles ont même un cri joyeux que je reconnais, une sorte de ‘‘tchiw-tchiw’’ à travers lequel elles socialisent», dit Mourad. 
Un paradis pour la biodiversité 
Les chauves-souris vont et viennent, exécutant une véritable chorégraphie aérienne tant leur trajectoire de vol est atypique, déroutante, en rupture continuelle. Le nez en l’air, nous nous enfonçons dans les sous-bois à l’aide de petites lampes poches maintenant que la nuit est tombée. Il suffit juste de faire attention aux sangliers nombreux qui peuplent ces coins hospitaliers. «La repisylve de la Soummam est un paradis pour la biodiversité», dit Mourad qui croise souvent genettes, mangoustes et oiseaux de diverses espèces. On voit quelquefois la chauve-souris plonger pour humecter ses membranes qui ont besoin de rester humides.
Ces drôles de mammifères repèrent leurs proies grâce aux ultrasons qu’elles émettent par la bouche et le nez et leur revient dans les oreilles. Au fur et à mesure, Mourad Ahmim identifie ses protégées grâce à leur signal sonore. «Voilà une Pipistrelle commune… là, c’est Tadarida Teniotis et voilà la pipistrelle de Kuhl… et voilà Big Foot, de son nom scientifique Myotis capaccinii. On l’appelle Big Foot à cause de ses grandes pattes antérieures…», dit Mourad. Avec humour, ses étudiants ont rebaptisé ses charmants volatiles : Tadarida est devenue Farida et la pipistrelle de Kuhl est devenue Kahloucha…
Une nouvelle espèce, déjà répertoriée au Maroc et en Tunisie, vient tout juste d’être détectée. Il s’agit du minioptère du Maghreb (Miniopterus maghrebensis), de son nom savant. «Par voie acoustique, on a retrouvé la signature sonore de la pipistrelle de Rueppel, une espèce désertique habituellement signalée du côté de Beni Abbès, aux frontières marocaines». Mourad Ahmim se demande s’il ne s’agit pas là d’une conséquence du réchauffement climatique. La visite guidée se termine aux alentours de 22h. Nous laissons les charmantes bêbêtes finir leur dîner tranquillement pour reprendre le chemin de la ville. 
Menacées de disparition 
Sur le chemin du retour, Mourad insiste pour dire que les chauves-souris sont menacées par la disparition de leurs habitats et de leurs zones de nourrissage. C’est ce qui fait que leurs effectifs soient en régression constante. Cela est d’autant plus dommageable que la chauve-souris n’est pas un champion de la reproduction et elle ne donne naissance qu’à un seul petit, rarement deux, par an.
Mourad nous apprend qu’hormis une grotte située à Abalessa, non loin de Tamanrasset, avec une population de chauve-souris estimée à près d’un million d’individus, et accessoirement celle d’Aokas, l’Algérie ne compte guère de sites connus pour la présence massive du mammifères volants. «En six ans de travail, j’ai trouvé 10 espèces pour une population estimée à 33 000 individus.
C’est très peu», se désole Mourad. La chauve-souris ne reste pas toute l’année au même endroit et possède un cycle annuel divisé en quatre. Elle hiberne de novembre à mars et estive de juin à septembre. Entre ces deux périodes importantes, elle se trouve en transit, se déplaçant de son site d’hibernation à son site estival est vice versa.
A l’heure où les scientifiques tirent encore une fois la sonnette d’alarme en affirmant que la faune est en train de subir sa 6e extinction de masse avec des espèces qui disparaissent 100 fois plus rapidement que par le passé, il serait vraiment dommage que ce très original mammifère, si indispensable à l’équilibre écologique, en fasse partie. 
Djamel Alilat