La question environnementale peut surgir de mille et une manières. En ce mois de Ramadhan, elle peut s'annoncer par exemple par la gastronomie. Cette dernière nous transporte d'ailleurs au coeur même de la faune et de la flore dont nos grands-parents étaient si attachés. Rabéa Nedjar, une artiste fière de sa contrée, déclare à ce sujet : « La cuisine chenouie nous vient de la nuit des temps. Elle n'a rien à voir avec les autres régions du pays. J'essaie de la transmettre comme a su le faire avec moi ma tante paternelle avec laquelle j'ai presque tout appris.» Elle évoque souvent cette tante. Elle parle de son jardin où elle cueillait la plupart de ses plantes, du four traditionnel (coucha) fait à base de terre, où elle faisait cuire les différentes sortes de pain aux herbes… Puis, les images se télescopent dans sa tête. Elle évoque pêle-mêle ce concours mémorable de 1987, où elle a été primée, pour avoir préparé un couscous au mérou et des nouilles au poisson. La cuisine chenouie, dit-elle, est unique, « elle se différencie des autres régions kabyles, chaouie … par son important apport marin. L'huile d'olive et les herbes sont omniprésentes. On cuisine avec pas moins d'une cinquantaine d'espèces ». Pour nous convaincre, elle citera les plats à base de palmier nain (yourak), de la sardine farcie aux différentes herbes, ou en boulettes mais sans riz … Elle reprendra, après un temps de pause, pour énumérer d'autres recettes. La friture d'anémone de mer et de tomate de mer, la tchicha par exemple, appelée aussi imzen, un plat à base de blé d'orge et d'animaux marins ; les oursins et les coquillages… En parlant de coquillages, elle s'attardera sur le ragout de bigorneaux, ces escargots de mer mélangés aux coquillages chapeau chinois, le tout cuit avec une pierre marine. « Je me rappelle de ces familles de conditions modestes qui se nourrissaient de produits marins à portée de main. A l'époque, elles ne connaissaient pas la famine. Elles cuisaient la tchalba sur de la braise, à feu doux, en l'intercalant de couches de palmiers. » Il est vrai, qu'en ces temps-là, chaque foyer recevait gratuitement son kilogramme de sardine de la part de l'un des membres pêcheurs de la famille, qui le ramenait du port de Tipaza ou Bouharoun. Au petit- déjeuner, avant 10 h du matin, grands et petits dégustait ce poisson à l'oignon arrosé de jus de citron. Les nombreuses recettes de sardine farcie étaient économiques. Habitant Tipaza, elle rendait souvent visite à ses tantes qui habitaient la proche montagne, sur les hauteurs de la Plage bleue. Là, elle oubliait volontiers la cuisine française, une spécialité de sa mère, au profit de la cuisine traditionnelle, qui libérait à profusion les senteurs, les goûts, les couleurs, les rituels et le cadre féérique, spacieux, nécessaire à la gestuelle. La cuisson se faisait sur un feu de bois à base de racines d'arbres (djedra), d'oseille ou de pommes de pin. Un jour, c'est un hérisson des fourrés, un autre des perdrix, un lièvre sauvage, ou, à défaut, un poulet de ferme qui passait à la terrine, mais avec toujours beaucoup d'herbes plus ou moins dominantes. Etant à l'origine de l'apparition de l'urticaire, l'ortie devient délicieuse dans les soupes. En l'écoutant parler ainsi, on l'entendrait à peine dire que «les secrets et les richesses sont en montagne». Par montagne, elle inclut toute la population chenouie, qui s'étend jusqu'aux reliefs de Menacer et Gouraya. « Notre cuisine était bio et saine. Les jardins étaient irrigués par des sources naturelles où l'on cueillait le cresson.» Vous lui parlez de fleurs (?), elle les évoque pour l'art culinaire, comme le pissenlit, la bourache farcie aux poissons, ou en ragoût de pomme de terre sautée avec de l'ail. Vous lui parlez de fruits (?), elle vous laissera saliver avec cette confiture de raisin muscat aux amandes … Hélas, de toutes ces recettes, on ne retrouvera pas une seule aux menus des restaurants de Tipaza et du Chenoua ; cet art et patrimoine culinaire sont déclarés non grata ! Le dos est tourné à nos racines et à notre identité. Mais Rabéa Nedjar, cette petite fonctionnaire qui a décroché plusieurs prix gastronomiques nationaux et étrangers, ne perd pas espoir d'ouvrir, un jour, son propre restaurant. Elle y fera mijoter des plats typiquement chenouis comme le tikourine, ces boulettes aux herbes cuites à la vapeur ou le tarwet. Ce dernier mets nécessite 24 plantes, dont l'oseille sauvage (tacemount) est le principal ingrédient. En attendant, elle prépare différents plats sur commande, notamment pour les étrangers : des algues à la vapeur à base de fenouils marins, appelés aussi christe marine, une plante qui pousse dans les infractuosités rocheuses en bord de mer, et qui se marie bien avec la salade laitue et la pomme de terre. Le couscous aux poissons et le pain aux fines herbes demeurent les plus prisés. A cet effet, Rabéa utilise des farines spéciales, à base d'orge, de son, de seigle pour pétrir ses pains complets ou de campagne, mélangés de graines de nigel, de coriandre, de sésame et d'anis. Tout cet art n'est-il pas en fait une invitation à renouer avec notre milieu originel, sans lequel on perdrait les saveurs et les poésies les plus raffinées transmises par plusieurs civilisations ?
Rachid Safou
14/08/2010
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